09/01/2025 reseauinternational.net  4min #265659

 La guerre de l'Arctique

De «Fallout» à la réalité : Les opérations psychologiques impériales et l'érosion de la souveraineté

par Gerry Nolan

Dans l'univers du jeu «Fallout», l'annexion du Canada par les États-Unis est une note de bas de page dans la marche impériale vers la catastrophe mondiale. Les États-Unis, à court de ressources, absorbent leur voisin du nord pour sécuriser l'oléoduc de l'Alaska et se préparer à une guerre contre la Chine, qui débouchera finalement sur une apocalypse nucléaire. À première vue, il s'agit d'une fiction dystopique, mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit de quelque chose de bien plus sinistre. Le récit du jeu fonctionne comme une opération psychologique, conditionnant le public à considérer l'effacement des frontières et l'asservissement de la souveraineté comme inévitables lorsque des ressources sont en jeu. C'est l'arrogance impériale pixelisée, qui enseigne aux joueurs que la construction d'empire, même au détriment des «alliés», est tout simplement dans l'ordre des choses.

Maintenant, sortez du jeu et entrez dans la réalité. Les réflexions de Trump sur le fait que le Canada devienne le 51ème État, qu'il achète le Groenland ou qu'il reprenne le canal de Panama sont qualifiées de «plaisanteries». Mais est-ce bien le cas ? Ces remarques désinvoltes sont le genre de travail idéologique subtil dont se nourrit une opération psychologique : normaliser l'idée que la souveraineté peut être sacrifiée à la poursuite du pouvoir. Dans «Fallout», l'annexion du Canada était présentée comme une nécessité patriotique, un moyen de garantir la stabilité de l'Amérique du Nord. Aujourd'hui, Trump la présente comme une solution gagnante pour les Canadiens, qui pourraient bénéficier de «taxes moins élevées» et d'une «meilleure protection militaire». Même logique, autre discours. Le message sous-jacent demeure : la souveraineté est facultative lorsque les États-Unis le décident.

Le Groenland est l'exemple le plus effrayant. Pour une oreille non avertie, le fait que Trump parle d'«acheter» le Groenland ressemble aux divagations d'un homme qui ne comprend pas la souveraineté. Mais en creusant un peu, on s'aperçoit que le Groenland, riche en ressources naturelles inexploitées et stratégiquement situé dans l'Arctique, est le joyau de la couronne de la frontière polaire. L'implication discrète de Trump d'utiliser des moyens militaires pour le sécuriser fait écho à la logique de «Fallout»: si vous ne pouvez pas l'acheter, prenez-le. Le Groenland n'est pas à vendre, comme l'a fermement affirmé le Danemark, mais la simple suggestion adoucit la résistance à l'idée qu'un territoire peut encore être acquis au XXIe siècle, si ce n'est par des négociations, puis par l'extorsion (droits de douane) et enfin par la force.

Et puis nous avons le canal de Panama, une artère vitale du commerce mondial et un symbole de l'impérialisme américain en Amérique latine. Les remarques de Trump sur la «reconquête» du canal soulignent une nostalgie de l'époque où la parole de Washington faisait loi dans le Sud mondial. Pour les États-Unis, le canal n'est pas seulement une infrastructure, c'est un pouvoir. Les traités transférant le contrôle au Panama étaient censés marquer une évolution vers le respect de la souveraineté latino-américaine. Mais pour l'empire, les accords sont des outils de commodité, pas des principes. La doctrine Monroe n'est pas morte, elle a juste été rebaptisée.

C'est là toute l'intelligence d'une opération psychologique. En intégrant ces ambitions impériales dans les divertissements, l'empire conditionne l'esprit du public à les considérer comme naturelles, voire inévitables. L'annexion du Canada dans «Fallout» et les remarques désinvoltes de Trump sur la souveraineté ont un objectif commun : normaliser la démesure impériale. Riez-en, et l'idée passe les défenses de l'indignation. Lorsque la rhétorique se transforme en politique, le terrain a déjà été préparé. C'est ainsi que les empires ont toujours fonctionné, non pas par un assaut frontal, mais par une érosion constante de la résistance jusqu'à ce que la conformité ressemble à un soulagement.

L'ironie est grande : Trump, qui se proclame champion de l'antimondialisme, ne pourrait pas être plus aligné sur le mondialisme lorsqu'il s'agit de son rêve expansionniste.

Mais le monde n'y croit plus. Le monde multipolaire, mené par la Russie, la Chine et un Sud mondial en plein éveil, est en train de réécrire le scénario. Ils voient le jeu de l'empire pour ce qu'il est : du désespoir. La souveraineté n'est pas à vendre, et les opérations psychologiques de l'empire, que ce soit dans les jeux vidéo ou dans les phrases de Trump, perdent leur emprise. Si «Fallout» était l'histoire d'une fatalité, le monde multipolaire qui se dessine est celle d'une résistance, d'une déclaration selon laquelle la souveraineté est sacrée et que le temps de l'empire est révolu.

Désormais, la question n'est plus de savoir si l'empire tombera, mais quand et à quel point le monde applaudira lorsqu'il tombera.

source :  The Islander

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